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Patrimoine

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...(suite) L'immobilier dans tous les états du droit

L’immobilier, composante importante du patrimoine des Français, s’inscrit dans le champ juridique à tous niveaux. Ainsi, il passe par tous les états du droit, droit civil mais aussi fiscalité. Il mérite une attention particulière au regard des modes de détention qui l’accompagnent, tant l’indivision que la société civile, et de sa place déterminante dans les rapports familiaux, en premier lieu au sein du couple. Le tour d’horizon d’une riche jurisprudence s’impose.

Pascal Pineau
- Responsable pédagogique DU IPCE de l'AUREP
- DU Ingénierie Patrimoniale du Chef d'Entreprise
- DESS Gestion de Patrimoine de l'Université d'Auvergne

PARTIE I : L'ACQUISITION EN INDIVISION (voir flash patrimoine du 11 juin 2018 ; http://revuefiduciaire.grouperf.com/flash/index.php?id_domaine=17)

PARTIE II : FISCALITÉ DES SCI - Exonération de la résidence principale & transposition de l’arrêt Quemener

Mise à disposition ou louée par la société ?

Une SCI, dont un homme est l’unique associé et gérant, a cédé en 2008 un immeuble qui était, à cette date, la résidence principale de ce dernier. L’administration fiscale a refusé le bénéfice de l’exonération de la plus-value (CGI, art. 150 U-II, 1°), estimant que le contribuable avait versé des loyers à la SCI propriétaire et qu’il n’avait donc pas occupé l’immeuble à titre gratuit.

Le contribuable soutenait, pour sa part, que les sommes qui avaient été versées sur le compte bancaire de la SCI « ne constituaient pas des loyers mais des apports en compte courant d’associé destinés à couvrir les mensualités du prêt contracté par la SCI lors de l’acquisition de l’immeuble ». Et « en jugeant, sans remettre en cause la qualification d’apport en compte courant d’associé (…), que de tels apports devaient être regardés comme révélant une mise à disposition à titre onéreux du bien en cause, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit » (CE, 8e ch., 28 déc. 2017, n° 405887).

Pas de tour de passe-passe !

Un petit mot, pour terminer, sur une tentative désespérée. Voyant sans doute le match lui échapper, le fisc a ainsi essayé, en dernière minute, de mettre en avant ce par quoi il aurait dû commencer, savoir que « les versements opérés sur le compte bancaire de la SCI Montmajour ne constituaient pas des apports en compte courant d’associé mais devaient être regardés comme des loyers traduisant une mise à disposition à titre onéreux ».

Dans de telles circonstances, « cette demande de substitution de motifs en cassation, qui implique l’appréciation d’éléments de fait, ne peut être accueillie ». Trop tard, donc ! Faute d’avoir discuté la chose devant les juges du fond, l’administration ne pouvait désormais plus se prévaloir de cet argument.

Le Conseil d’État a également dû trancher une autre question dans laquelle l’absence de taxation de la plus-value immobilière prenait un tour plus technique.

Quemener en version exonération

Un homme détenait la moitié des parts sociales d’une SCI qui a cédé fin 2003 la moitié des biens immobiliers qu’elle détenait et réalisé à cette occasion une plus-value qui, compte tenu de la durée de détention des biens cédés, n’a pas donné lieu à imposition ; la SCI a fait l’objet d’une dissolution, suivie aussitôt d’une liquidation-partage, tout début 2004. L’administration a tenté d’imposer ce qu’elle considère comme une plus-value immobilière égale à la différence entre la valeur des biens attribués au contribuable suite à la dissolution de la société et le prix d’acquisition de ses parts.

Le Conseil d’État est très clair : la non-imposition des plus-values réalisées par la société « constituait un avantage fiscal définitif accordé par le législateur qui ne pouvait être repris à l’occasion de la répartition, entre les associés, de l’actif social de la société dissoute », d’où il convenait, pour déterminer le montant imposable suite à la dissolution de la société, de « majorer la valeur d’acquisition des parts sociales de la quote-part revenant à l’associé des plus-values non imposables réalisées par la société » ; en ne le faisant pas, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit (CE, 3e/8e ch., 8 nov. 2017, n° 389990).

On retrouve ici la logique inaugurée par le fameux arrêt Quemener (CE, 8e/3e SSR, 16 févr. 2000, n° 133296, publié au recueil Lebon) mais transposée, dans un contexte similaire, des plus-values professionnelles aux plus-values privées. C’est dans tous les cas le régime des sociétés de personnes qui s’applique – les associés assumant l’impôt de la société… dans la catégorie concernée de leur propre impôt, savoir l’impôt sur le revenu.

Le challenge est alors d’« assurer la neutralité de l’application de la loi fiscale compte tenu du régime spécifique de ces sociétés ». Dit de manière plus prosaïque, il s’agit tout simplement d’éviter une double imposition.

Une recette plutôt technique…

Le prix d’acquisition doit alors être :

-majoré de la quote-part des bénéfices de cette société revenant à l’associé qui a été ajoutée aux revenus imposés de celui-ci (antérieurement à la cession et pendant la période d’application de ce régime) et des pertes afférentes à des entreprises exploitées par la société en France et ayant donné lieu de la part de l’associé à un versement en vue de les combler ;

-minoré des déficits que l’associé a déduits pendant cette même période (à l’exclusion de ceux qui trouvent leur origine dans une disposition par laquelle le législateur a entendu octroyer un avantage fiscal définitif) et des bénéfices afférents à des entreprises exploitées en France par la société et ayant donné lieu à répartition au profit de l’associé.

Le présent arrêt précise de surcroît que le prix d’acquisition des parts doit également être majoré de la quote-part des bénéfices de la société revenant à l’associé qui n’ont pas fait l’objet d’une imposition effective en application d’une disposition par laquelle le législateur a entendu accorder un avantage fiscal définitif. Cqfd.

Une fois cette mise au point effectuée, et sans entrer dans le détail des calculs, il ressort de l’analyse des juges que la valeur d’acquisition des parts sociales étant supérieure à la valeur qui lui a été attribuée à l’occasion de la dissolution de la SCI, la liquidation de cette société n’a pas donné lieu à la détermination de gains imposables au nom du contribuable.

L’occasion d’évoquer une toute récente réponse ministérielle est trop belle pour que je ne la saisisse pas au bond. Il s’agit, en effet, d’évoquer les droits d’enregistrement relatifs à l’une des possibilités en matière de « récupération » par les associés d’un immeuble préalablement détenu par leur société.

Extraction

À un député qui s’en étonnait, il a été rappelé que le versement de dividendes par la remise de biens immobiliers ne constitue pas transmission de propriété de bien immobilier à titre onéreux et dès lors n’est pas taxable aux droits de mutation à titre onéreux car « en application d’une jurisprudence constante de la Cour de Cassation, la décision de distribution de dividendes constitue un acte juridique unilatéral et non un contrat » (RM Grau, JOAN 15 mai 2018, p. 4063, n° 3508).

Il a été ensuite rappelé que l’opération, naturellement, constitue une distribution imposable à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers – s’agissant bien sûr d’une société soumise à l’impôt sur les sociétés.

L’immobilier, ni immobile ni immuable

Ce tour d’horizon, bien qu’évidemment non exhaustif, montre assez la richesse de la matière, ainsi que les difficultés inhérentes, surtout lorsque la détention du ou des immeubles est assurée via une ou des sociétés. L’attention du praticien ne doit être que plus grande et le conseil s’en trouve nécessaire, plus que jamais, pour assurer la bonne fin des opérations et le respect des objectifs et intérêts du ou des clients.

https://www.aurep.com

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