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Nullité du licenciement pour faute grave fondé sur des mails privés échangés grâce à la boîte mail professionnelle

Un cadre dirigeant qui utilise sa boîte mail professionnelle pour avoir une conversation privée peut-il être licencié pour faute grave parce qu’il a tenu des propos à caractère sexuel ? La Cour de cassation répond par la négative au nom du droit au respect de la vie privée dans un arrêt du 25 septembre 2024. Un tel licenciement est nul. Elle reste ainsi dans la droite ligne de sa jurisprudence, y compris la plus récente.

Un cadre dirigeant est licencié pour faute grave en raison de ses propos à caractère sexuel tenus via sa boîte mail professionnelle

Un salarié, cadre dirigeant, a adressé avec sa messagerie professionnelle à un collègue, un ancien collègue et à un partenaire commercial des mails contenant des propos, images ou liens à caractère sexuel, particulièrement vulgaires et dégradants pour les femmes. Ces mails n’étaient pas identifiés comme étant personnels.

Licencié pour faute grave notamment de fait de ses propos, il a saisi les juges.

Le licenciement est annulé en appel. En effet, la cour d’appel considère que celui-ci est en partie fondé sur un usage non abusif de sa liberté d’expression par le salarié, dans la mesure où ses propos n’étaient ni excessifs, ni diffamatoires ou injurieux, et ce malgré leur « caractère vulgaire », et qu’ils ne visaient aucune personne de l’entourage professionnel du salarié. L’on sait en effet que le licenciement d’un salarié pour un motif lié à l'exercice non abusif de sa liberté d'expression est un licenciement nul, s’agissant d'une liberté fondamentale (cass. soc. 16 février 2022, n° 19-17871 FSB).

L’employeur a porté l’affaire devant la Cour de cassation, en soutenant notamment que les propos litigieux étaient bel et bien excessifs.

La Cour de cassation confirme la nullité du licenciement, mais en se plaçant sur un tout autre terrain, celui de la protection de la vie privée du salarié au temps et au lieu du travail. Elle suit sur ce point l’avis de l’avocate générale (Avis de l’avocate générale, p. 3).

À noter : la cour d’appel qui a annulé le licenciement était une cour d’appel de renvoi. L’affaire avait en effet déjà été jugée par une autre cour d’appel et donné lieu à un premier arrêt de la Cour de cassation, duquel il ressortait que le licenciement aurait dû être jugé sans cause réelle et sérieuse, les propos en cause ne constituant pas du harcèlement sexuel (cass. soc. 2 février 2022, n° 19-23345 D). C’est sur un tout autre plan que s’est placée la cour d‘appel de renvoi, puis encore sur un autre la Cour de cassation.

Le licenciement pour faute grave du cadre dirigeant est nul car attentatoire à sa vie privée

La Cour de cassation commence par rappeler que le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l'intimité de sa vie privée, ce qui implique, en particulier, le secret de ses correspondances. Et que ce droit est classé au rang des libertés fondamentales (cass. soc. 2 octobre 2001, n° 99-42942, BC V n° 291 ; cass. soc. 12 octobre 2004, n° 02-40392, BC V n° 245).

La Cour de cassation en déduit que l’employeur ne peut pas utiliser le contenu des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail, pour le sanctionner. Cela constitue une violation de cette liberté fondamentale.

Rappelons ici que des mails envoyés avec la messagerie professionnelle peuvent être qualifiés de personnels du fait que le salarié les a identifiés comme tel ou du fait de leur contenu (voir ci-après). En l’espèce, c’est le contenu des mails litigieux qui a conduit à les qualifier de personnels.

La Cour de cassation rappelle aussi qu'un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier, en principe, un licenciement disciplinaire, sauf s'il constitue un manquement de l'intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail.

Elle conclut que « le caractère illicite du motif du licenciement fondé, même en partie, sur le contenu de messages personnels émis par le salarié grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail, en violation du droit au respect de l'intimité de sa vie privée, liberté fondamentale, entraîne à lui seul la nullité du licenciement ».

Or, en l’espèce, le salarié a été licencié pour faute grave, notamment en raison de propos échangés lors d'une conversation privée avec trois personnes au moyen de la messagerie professionnelle installée sur son ordinateur professionnel, dans un cadre strictement privé sans rapport avec l'activité professionnelle.

Cette conversation de nature privée n'étant pas destinée à être rendue publique et ne constituant pas un manquement du salarié aux obligations découlant du contrat de travail, le licenciement pour faute grave est injustifié et nul comme portant atteinte au droit au respect de l'intimité de la vie privée du salarié.

Quelle conduite tenir face à des mails personnels émis avec la boîte professionnelle ?

L’employeur qui envisage de prononcer une sanction disciplinaire, pouvant aller jusqu’au licenciement pour faute, en raison des propos tenus par un salarié dans des mails envoyés avec la messagerie professionnelle, doit d’abord déterminer si :

- il est en droit d’accéder aux mails en question ;

-et si oui, si leur teneur est privée.

Du fait du droit au respect de la vie privée au temps et au lieu du travail, l’employeur ne peut pas prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail et ceci, même au cas où il a interdit une utilisation non professionnelle de l’ordinateur (cass. soc. 12 octobre 2004, n° 02-40392, BC V n° 245). Toutefois, l’employeur peut recourir à un commissaire de justice, si les conditions de son intervention sont remplies (c. proc. civ. art. 145 ; cass. soc. 23 mai 2007, n° 05-17818, BC V n° 84 ; cass. soc. 10 juin 2008, n° 06-19229, BC V n° 129).

Mais, comment savoir si un mail est personnel ou professionnel ? Il est professionnel si le salarié ne l’a pas identifié comme étant personnel. En effet, dans ce cas, il est présumé être professionnel et l’employeur y a donc librement accès (cass. soc. 15 décembre 2010, n° 08-42486 D ; cass. soc. 26 juin 2012, n° 11-15310, BC V n° 196).

Dans l’affaire relatée plus haut, l’employeur avait accès aux mails du salarié, celui-ci ayant utilisé sa boîte mail professionnelle et ne les ayant pas identifiés comme étant personnels.

Une fois que les mails litigieux sont ouverts licitement, se pose alors la question de leur contenu, lequel peut relever de la vie privée du salarié. Le cas échéant, l’employeur ne pourra pas utiliser ce contenu pour sanctionner le salarié (cass. soc. 5 juillet 2011, n° 10-17284 D).

Dans l’affaire qui nous intéresse, les mails avaient été échangés dans le cadre d’une conversation privée, sans rapport avec l'activité professionnelle, qui n’était pas destinée à être rendue publique. Ils étaient donc privés et ne pouvaient pas justifier un licenciement pour faute grave.

Pour finir, rappelons que Cour de cassation a, dans le même état d’esprit, récemment tranché des affaires où les propos étaient insultants ou discriminants (cass. ass. plén. 22 décembre 2023, n° 21-11330 BR) ou racistes et xénophobes (cass. soc. 6 mars 2024, n° 22-11016 FSB). À cette occasion, elle a notamment souligné qu’une conversation privée qui n'est pas destinée à être rendue publique ne peut pas constituer en elle-même un manquement du salarié aux obligations découlant du contrat de travail, principe qu’elle reprend d’ailleurs dans son arrêt du 25 septembre 2024.

Pour autant, dans certaines circonstances, l’employeur peut retrouver l’usage de son pouvoir disciplinaire en s’appuyant sur un manquement du salarié aux obligations découlant du contrat de travail, comme une violation de son obligation de confidentialité (cass. soc. 30 septembre 2020, n° 19-12058 FSPBRI), sur un usage abusif d’un outil professionnel à titre personnel au regard de son incidence sur l’exécution de son travail (cass. soc. 16 mai 2007, n° 05-43455 D) ou sur la commission de faits délictueux pouvant nuire à l’entreprise (cass. soc. 2 juin 2004, n° 03-45269, BC V n° 152 ; avis de l’avocate générale, pp. 4 et 5).

Cass. soc. 25 septembre 2024, n° 23-11860 FSB ; https://www.courdecassation.fr/decision/66f3a7dc5c2cfc5a084ac60f